J'ai participé à un atelier d'écriture de Rémanence des mots. Je vous partage ici les textes qui ont émergé.
Texte utilisant les cinq sens
Ne parlez pas de vocation à Philippine. La vocation est religieuse. Son métier d’infirmière, elle l’avait choisi. Ce métier, elle le vivait dans son corps. Son dos était lourd du poids des patients, ses épaules s’enroulaient à force de retourner les corps malmenés par la vie. Ses mains devenaient rêches sous les flots des désinfectants. Avec le temps, son corps s’endolorissait des douleurs qu’elle tentait d’apaiser.
Les infirmières ont la réputation d’être alliciantes. À voir son corps rouillé et défraîchi, rien n’était moins sûr. Elle s’interrogeait sur son avenir. Son nez s’était habitué aux odeurs putrides, ses oreilles ne sursautaient plus au son d’un cri. Ses mains squameuses avaient perdu la douceur des peaux. Ses yeux ne se révulsaient plus devant les corps vieillis, brûlés, amputés, saignants, convulsant. L’âpreté de la vie avait anesthésié sa langue et muselé ses mots.
Son corps las et insensible disait tout de la fin de son envie d’être soignante. Mais la flamme brûlait encore au tréfonds de son palpitant. Serait-elle assez forte pour réchauffer la froideur de son indifférence ?
Texte allitérations
Raoul Grumbert était soul du soir au matin, du printemps à l’hiver. C’était un arsouille obombré dont l’occupation favorite était d’organiser des grands raouts de poker pour mieux détrousser les prouprouts de leurs bourses pécuniaires.
Grincheux, grossier et grimaçant, Raoul mâchouillait un vieux cigare estampillé Montecristo pour égayer les gracieux, graciles et grenouilleux bobos qu’il embobelinait au fond du tripot.
Ces derniers finissaient par s’égailler dans la nuit d’août pour fuir l’opprobre de s’être laisser mystifier par le rappetout Raoul Grumbert.
Texte sur un lieu
Accoudé au bastingage, son regard est attiré par un homme. Il a une impression de déjà-vu. La même énergie, la même détermination. Pourtant au fil de l’eau, l’image change.
Au niveau du Louvre, il ne voit que sa chevelure bouclée noire, ses sourcils fournis, ses fines lèvres incarnates. Comme le majestueux palais, il semble éternel. Mais plus le bateau avance sur la Seine, plus les détails le frappent.
Au niveau du musée d’Orsay, il s’aperçoit des fils blancs tricotés par les aiguilles du temps. Son chapeau lui donnait auparavant des airs de dandy ; maintenant il cache sa toison blanche. Ses lèvres ont jauni sous l’effet du tabac ou alors est-ce la turbidité de la Seine qui leur donne cet air.
Arrivé à l’Assemblée nationale, il convient que le cigare lui confère un air charmeur, assuré. Mais quelques milles plus loin, il ne voit plus qu’un vieux beau essayant vainement de résister aux flots du temps.
Accoudé sur ce bateau mouche, il l’a déjà vu cet homme. Parcourant Paris, fier comme Artaban, ignorant la Seine et le temps qui passe. C’est lui. Aujourd’hui son reflet étiolé lui rappelle que si le courant du fleuve ne change rien aux pierres parisiennes, le courant du temps a fini par éroder l’homme qu’il était.
Paris est éternelle, les hommes ne sont que mortels.
Texte descriptif
La Parisienne dans toute sa splendeur. Vingt-cinq ans, longiligne, branchée, elle avance avec prestance, sûre d’elle. Jean bleu, petit pull moulant blanc, elle porte à l’épaule un sac à main noir tendance. Un carré ciselé au millimètre, de grandes créoles or soulignent un visage maquillé avec naturel. Elle a l’air de posséder le monde.
Mon regard s’arrête alors sur sa main crispée, accrochée à la lanière de son sac, comme à une bouée. Son bras découvert laisse apparaître un tatouage : une étoile de laquelle tombe un petit bonhomme dans le vide de sa chair. Elle a l’air d’avoir tout, il n’en est peut-être rien.
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